Iyo Bisseck, artiste en résidence 2025

Iyo Bisseck combine environnements numériques immersifs, installations, images animées et jeux vidéo pour interroger la société contemporaine et ses inégalités. Elle effectue une résidence au Nieuwe Instituut à Rotterdam du 1er avril au 30 juin 2025.

Diplômée de l’École polytechnique de Paris en réalité virtuelle et augmentée en 2021, Iyo Bisseck est une artiste multidisciplinaire, designer d’interaction et programmeuse franco-camerounaise. Sa pratique mêle environnements numériques immersifs, installations sculpturales, images animées et jeux vidéo. Son travail interroge les archives contemporaines, révélant la matérialité du numérique et les continuités coloniales, tout en tissant des récits diasporiques à travers la fiction et les médias interactifs. Active dans des collectifs tels que Dreaming Beyond AI et Matri-Archi(tecture), Iyo crée des plateformes en ligne soutenant des initiatives culturelles et engagées.  

Projet de résidence

Au cours de sa résidence au Nieuwe Instituut (1er avril au 30 juin 2025), Iyo Bisseck a approfondi les recherches sur les algorithmes de lutte contre la fraude sociale en explorant leurs impacts sur des foyers en France et aux Pays-Bas. En établissant des liens entre des contextes et des luttes qui partagent des dynamiques communes, ce projet relie surveillance domestique, contrôle des frontières et système carcéral, et explore leur relation avec l’invention des statistiques et la construction des catégories raciales depuis l’époque coloniale.  

L’artiste Iyo Bisseck en résidence à het Nieuwe Instituut (-1) dans le cadre du Nouveau Grand Tour NL 2025 © Institut français NL.

Entretien avec Iyo Bisseck

Pourquoi avoir choisi de faire une résidence aux Pays-Bas ? 

J’ai eu l’opportunité de découvrir le Nieuwe Instituut lors de l’Embodied Restoration Lab, une initiative portée par l’architecte Afaina de Jong. À cette occasion, j’avais animé un atelier autour des archives communautaires. Cette première expérience m’avait profondément marquée. En repartant, je me suis dit : je reviendrai. 

Cette résidence a donc été l’opportunité de concrétiser ce souhait. Par ailleurs, les Pays-Bas m’intéressaient pour leur modèle de technogouvernance, où les technologies jouent un rôle central dans l’organisation des infrastructures et des pratiques quotidiennes — des transports publics à la gestion urbaine. De plus, avec mon collectif Matri-architecture, nous avions lancé IN-FORM-ALL, une archive collective ouverte qui documente les contre-publics entre Johannesburg et Rotterdam. Ce projet m’avait permis de découvrir la ville de Rotterdam et de mieux appréhender ses dynamiques urbaines. 

Quels institutions, festivals et artistes t’ont particulièrement marqué durant ta résidence ?

L’un des moments forts de ma résidence a été de travailler avec Ramon Amaro, coordinateur de l’espace “Minus One” au Nieuwe Instituut, dont les recherches critiques sur la technologie, notamment dans The Black Technical Object, m’inspirent beaucoup. J’ai également apprécié échanger avec Jill Toh du Racism and Technology Center, qui crée des espaces de réflexion autour des questions de racisme et de technologie. Parmi les artistes et collectifs rencontrés, il y a eu Isaiah Lopaz ainsi que la Wildcard Community créé par James Brandon Lewis et Fyn Paulina Bonita, qui propose des espaces de jeux collectifs. Enfin, j’ai pu découvrir la Kinship Library d’Afaina de Jong. 

Comment ton projet artistique a-t-il évolué au cours de ta résidence ? 

Mon projet initial portait sur les algorithmes de détection de fraude dans les administrations sociales, en particulier à la Caisse des Allocations Familiales (CAF) en France, où j’ai constaté un manque de réflexion sur les questions raciales, ainsi qu’une continuité des dynamiques de gentrification. 

Au cours de la résidence, j’ai été confrontée à un algorithme privé chargé de détecter des comportements « suspicieux » dans mon espace domestique. Ce parallèle entre surveillance publique et privée m’a poussée à élargir ma réflexion, notamment sur les dispositifs technologiques utilisés par les plateformes de location, qui ciblent des populations souvent mobiles et temporaires. 

Cette expérience m’a aussi conduite à m’interroger sur le rôle des bailleurs sociaux aux Pays-Bas. Les mêmes acteurs et dispositifs pourraient, à terme, toucher les populations vulnérables. L’essor des « smart homes » renforce ces mécanismes de surveillance, créant des liens préoccupants entre algorithmes de contrôle public, comme ceux de la CAF, et dispositifs privés susceptibles d’étendre leur emprise sociale. 

Pourquoi as-tu souhaité réaliser une résidence dans le cadre du Nouveau Grand Tour NL ?  

Les Pays-Bas ont connu des situations comparables à celle de la CAF, qui ont conduit à l’abandon de leur dispositif et à la démission du gouvernement. Cette résidence, dans le cadre du Nouveau Grand Tour NL, m’a offert l’opportunité de me déplacer, de rencontrer des institutions, des acteur·rices de terrain et des archives, et d’approfondir ma réflexion sur les outils algorithmiques et leurs impacts sociaux. Cette mobilité permet d’inscrire mon travail dans une perspective spatiale et temporelle élargie, en croisant les expériences locales et les récits historiques, pour mieux comprendre les implications locales de ces technologies. 

Partenaires

  • Coordonné par : Ambassade de France aux Pays-Bas, Institut français NL, France-Nederland Cultuurfonds
  • Crédits photo de couverture : Sarah Coppet