Prix Descartes-Huygens : entretien avec Rampal Etienne, écologiste évolutionnaire néerlandais

Écologiste évolutionnaire néerlandais, Rampal Etienne s’intéresse à la relation entre l’évolution et les différents types d’animaux, de plantes et de bactéries. En 2020, il reçoit le prix scientifique franco-néerlandais Descartes-Huygens du gouvernement français et de l’Institut français des Pays-Bas qui lui permet de poursuivre sa recherche en collaboration avec des chercheurs français.

Vous êtes impliqué depuis des années dans la coopération scientifique entre la France et les Pays-Bas. Pouvez-vous nous raconter ce parcours franco-néerlandais ?

« Après mon doctorat en 2002, j’ai commencé à me concentrer sur la théorie de la biodiversité ; en particulier sur la théorie neutre développée en 2001 par l’écologiste américain Steve Hubbell qui remet en cause l’idée d’une répartition selon les niches en considérant les espèces comme équivalentes (d’où le terme neutre). Cela a suscité mon intérêt ainsi que celui de plusieurs chercheurs français, dont Jérôme Chave et François Munoz, avec lesquels j’ai commencé à développer la théorie de Hubbell (avec des collègues d’autres pays). En 2007, j’ai écrit un article pour montrer qu’une hypothèse de la théorie de Hubbell était redondante et qu’elle pouvait être encore plus généralisée. J’ai ensuite été contacté par Bart Haegeman qui souhaitait que nous en discutions ensemble. Ce fut le début d’une collaboration très agréable et fructueuse. Bart est un chercheur belge qui travaille en France depuis des années, d’abord à Narbonne, puis à Montpellier et aujourd’hui à Moulis. Je lui ai rendu visite plusieurs fois en France, et lui est venu me voir à Groningue aux Pays-Bas, dans le cadre des bourses de mobilité du prix Descartes-Huygens ou du programme PHC Van Gogh de l’Institut français des Pays-Bas. Lors de mes séjours de recherche, j’ai pu amener des doctorants et des post-doctorants néerlandais afin qu’ils puissent rencontrer des chercheurs basés en France. Nous avons pu examiner différentes variantes du modèle neutre, mais aussi des modèles qui utilisent la maximisation de l’entropie et des modèles de diversification des îles. Comme moi, Bart est d’abord physicien : nous abordons les problèmes que nous rencontrons de la même façon que le ferait un ingénieur, en les examinant sous tous les angles pour pouvoir trouver une solution. Avec le prix Descartes-Huygens, j’aimerais étendre cette coopération en impliquant également d’autres chercheurs basés en France, par exemple à Lyon, Paris et Lille. »

Avec le prix Descartes-Huygens, j’aimerais étendre cette coopération en impliquant des chercheurs basés à Lyon, Paris et Lile.

Vos recherches portent sur la manière dont la biocénose de toutes sortes d’organismes influence la formation de nouvelles espèces et leur évolution. Pourriez-vous nous expliquer ce travail ?

« Pour ma part, je n’utilise jamais le terme « biocénose », je préfère parler de « communauté de vie ». L’idée est que les individus vivent dans une communauté de vie qui peut être constituée de différentes espèces. Si ces individus disposent de la même source de nourriture, ils doivent entrer en compétition les uns avec les autres. Cette compétition peut conduire à la formation d’espèces. Mon travail n’est pas d’examiner en détail le mécanisme de formation de cette espèce ; c’est un domaine très spécialisé. Ce qui m’intéresse c’est la question de savoir si la communauté de vie a une influence sur le taux de spéciation [le processus évolutif par lequel de nouvelles espèces vivantes se forment à partir d’ancêtres communs]. Pour répondre à cette question, je mets au point des méthodes permettant de déduire ce phénomène à partir de schémas de ramification des arbres généalogiques évolutifs que nous pouvons reconstruire à partir de l’ADN des organismes. Pour mon travail sur les îles, on peut se poser une question similaire : la communauté de vie sur l’île influence-t-elle la colonisation de l’île et la formation des espèces ? Et de quelle manière ? Toutes les espèces s’influencent-elles de la même manière, ou cela dépend-il de l’affinité entre les espèces, ou non ? »

Quels sont vos projets futurs à l’issue de cette coopération scientifique franco-néerlandaise ?

« L’objectif est, bien sûr, que la coopération se poursuive. Grâce au prix, nous avons appris à travailler ensemble à distance, mais cela reste quand même limité. Pour pouvoir faire un brainstorming correct ou travailler ensemble sur un problème (mathématique), l’interaction physique avec un tableau noir ou un tableau blanc est vraiment bien meilleure. J’espère donc que nous pourrons effectuer d’autres séjours de recherche à l’avenir, dans le cadre du programme PHC Van Gogh ou d’autres subventions. Avec Bart, j’ai supervisé un doctorant et j’espère qu’à l’avenir, une telle supervision conjointe se reproduira. Nous avons fait de grands progrès dans le cadre de ses recherches doctorales, mais il reste des questions sans réponse que nous pourrions continuer à développer. »


À propos

Créé en 1995 par les gouvernements français et néerlandais, le prix Descartes-Huygens couronne chaque année un scientifique français et un scientifique néerlandais de niveau international pour récompenser leurs travaux et leur contribution à la coopération franco-néerlandaise.

Biographie

Rampal Etienne, professeur à l’Université de Groningue et chercheur au Groningen Institute for Evolutionary Life Sciences, est spécialisé dans l’écologie évolutive. Ses recherches portent sur la manière dont la biocénose de toutes sortes d’organismes influence la formation de nouvelles espèces et leur évolution.

Informations

  • Entretien : Rampal Etienne
  • Programme : Prix Descartes-Huygens
  • Avec le soutien de : Institut français des Pays-Bas
  • Photo : Rampal Etienne