La Fabrique des horizons européens : entretien avec Pap Ndiaye, directeur du Palais de la Porte Dorée

Entretien avec Pap Ndiaye, directeur du Palais de la Porte Dorée et invité de La Fabrique des horizons européens à Amsterdam le 12 octobre 2021.

Directeur général du Palais de la Porte Dorée (Musée national de l’histoire de l’immigration et Aquarium tropical), Pap Ndiaye est l’invité de l’Institut français des Pays-Bas à l’occasion d’un débat autour du rôle des musées européens dans le récit du passé colonial le 12 octobre 2021 à De Balie à Amsterdam, dans le cadre de La Fabrique des horizons européens. 

Votre projet est de faire du Musée national de l’histoire de l’immigration un lieu de connaissance et de réflexion sereine autour de questions qui font souvent polémique. De quelles questions s’agit-il et pourquoi font-elles polémique ? 

« Depuis de nombreuses années, l’immigration a pris une place démesurée dans la vie politique française, et cela semble s’accentuer à l’orée de la campagne présidentielle de 2022. Il est essentiel pour le musée national d’histoire de l’immigration de proposer des données fiables, de démentir des affirmations mensongères, d’organiser des débats sereins, pour lutter contre les marchands de haine qui fustigent les migrants comme à l’origine de tous les problèmes sociaux, économiques et politiques du pays. »

Quel public espérez-vous toucher dans cette nouvelle perspective ?

« Nous sommes un établissement public, qui a vocation à accueillir tout le monde : non seulement les publics concernés (par exemple les descendants d’immigrés ou les migrants eux-mêmes) mais aussi la population qui n’a pas de lien familial récent avec l’immigration. L’histoire de l’immigration est encore à la marge du récit national, contrairement aux États-Unis par exemple. Notre mission est de faire comprendre qu’elle est un élément central de l’histoire de France. »

Le Musée national de l’histoire de l’immigration se situe au Palais de la Porte Dorée à Paris, un bâtiment construit dans le cadre de l’exposition coloniale de Paris en 1931. Quelle place donnez-vous à la charge symbolique de ce lieu dans votre projet ?

« Il est essentiel de saisir à bras le corps l’histoire du Palais, qui est profondément liée à l’histoire coloniale de l’entre-deux-guerres. Pour cela, nous prévoyons une exposition qui portera sur l’exposition coloniale de 1931. Le Palais peut être un formidable point d’appui pour l’enseignement de l’histoire coloniale. »

Lors de sa visite à Ougadougou, au Burkina Faso, en 2018, le président de la République française, Emmanuel Macron a déclaré que la France et ses anciennes colonies entrent dans une nouvelle relation. Quel sens donnez-vous à ce propos ?

« C’est le rôle du président que de montrer des voies nouvelles, pour sortir définitivement de la « Françafrique ». De nouvelles relations sont nécessaires, pour assumer pleinement la part africaine de la France, et la part française d’une partie de l’Afrique. Les sociétés civiles ont un rôle déterminant à jouer dans cette mutation historique, dans ces liens à réinventer. »

Les musées européens doivent aborder frontalement la question difficile de leur passé colonial, qui ne tient pas seulement à leurs collections extra-européennes, mais aussi aux représentations du monde qu’ils ont véhiculées.

Selon vous, de quelle façon les musées européens doivent-ils aborder notre passé colonial commun ?

« Les musées européens doivent aborder frontalement la question difficile de leur passé colonial, qui ne tient pas seulement à leurs collections extra-européennes, mais aussi aux représentations du monde qu’ils ont véhiculées. Cette démarche doit se faire en collaboration avec les musées et les forces culturelles des pays africains et asiatiques, et elle doit bien entendu inclure la question des restitutions des objets pillés pendant la colonisation. »

Vous avez écrit sur la question des minorités en France, parallèlement à vos recherches sur l’histoire sociale aux États-Unis. Vous vous identifiez comme « républicain universaliste », qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

« L’universalisme républicain ne doit pas être « décharné » pour reprendre une expression d’Aimé Césaire : à savoir un universalisme borné, qui se résumerait à la vision et aux intérêts de la partie historiquement dominante de la société. Être authentiquement universaliste, à mon sens, c’est s’intéresser aux situations minoritaires, non pour les essentialiser, mais pour montrer en quoi les droits des groupes concernés ont été historiquement limités, et en quoi ces derniers aspirent à être reconnus du point de vue de leurs singularités culturelles, tout en n’étant pas discriminés dans l’accès à une bonne éducation, un bon emploi, un bon logement. »


À propos

Créée par l’Institut français des Pays-Bas en 2018, La Fabrique des horizons européens est une série de débats qui fait dialoguer des citoyens engagés – élus, experts, chercheurs, philosophes, journalistes, autour des enjeux du XXIe siècle pour ouvrir de nouveaux horizons européens. 

Biographie

Pap Ndiaye est professeur d’histoire à Sciences Po et directeur général du Palais de la Porte Dorée. Il est spécialiste d’histoire des Etats-Unis et des minorités. Normalien, agrégé et docteur en histoire, diplômé de l’université de Virginie, il a enseigné aux États-Unis. Il travaille actuellement à une histoire mondiale des droits civiques au XXème siècle.

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