Programme Nouvelles voix : entretien avec Martine Woudt, traductrice néerlandaise de David Diop

Entretien avec Martine Woudt, traductrice de « Frère d’âme » de David Diop publié en néerlandais en 2019 avec le soutien du programme Nouvelles voix.

Traductrice littéraire, Martine Woudt est spécialisée dans la traduction de romans français vers le néerlandais. Sa traduction de Frère d’âme de David Diop, publié en néerlandais avec le soutien du programme Nouvelles voix de l’Institut français des Pays-Bas, a reçu le prix néerlandais Europese Literatuurprijs 2020.

Quelle est l’œuvre française que vous avez préférée traduire ?

« Pour moi, les livres qui sont intéressants à traduire sont ceux dont le style et le contenu ont quelque chose de particulier. Frère d’âme de David Diop fait partie de ceux-là, et j’ai donc pris beaucoup de plaisir à le traduire. À l’époque, j’enseignais à la VertalersVakschool à Amsterdam, et je me souviens très bien de l’enthousiasme des étudiants qui devaient traduire un extrait de Frère d’âme. La langue obsédante et emplie de répétitions a été un défi pour eux autant que pour moi. Il a également été très intéressant de traduire Rien n’est noir de Claire Berest  un roman magnifiquement écrit sur la vie de Frida Kahlo. »

Quelle est la pire erreur qu’un traducteur puisse commettre en traduisant un texte français ?

« Lorsque vous traduisez, vous êtes sans cesse à la recherche d’un équilibre entre ce qui est écrit dans la langue source, ce que cela signifie, et la façon dont vous pouvez le transmettre dans votre propre langue. Le degré de liberté que l’on s’accorde à cet égard est une question d’interprétation de la traduction. Bien sûr, c’est une erreur de choisir le mauvais sens d’un mot ou de ne pas comprendre le texte source et de le laisser au hasard. C’est une erreur également de rester trop proche des structures de phrases françaises, ou justement de trop s’en éloigner. Mais là encore, c’est une question de goût, et chaque traducteur est différent à cet égard. »

Quel livre français aimeriez-vous encore traduire à l’avenir ?

« Quand j’ai commencé à traduire, je voulais traduire des textes dramatiques. Cela n’est jamais arrivé, et cela n’arrivera probablement pas, car des textes de théâtre surtout traduits par des personnes issues du monde du théâtre. Mais j’aimerais bien traduire une pièce un jour. Quant aux romans, je me laisse surprendre par ce qui arrive sur mon chemin, comme le nouveau roman de David Diop prochainement. »

Pourquoi avez-vous choisi de traduire le titre français Frère d’âme de David Diop par Meer dan een broer (« Plus qu’un frère ») ?

« Le titre a été choisi en concertation avec la maison d’édition néerlandaise Cossee. Frère d’âme est difficile à traduire. Ce qui est drôle, car si on connaît la signification de « frère » et « âme », on comprend sans traduction ce que cela veut dire. Mais zielenbroeder ou zielsbroer ne sonnent pas très bien en néerlandais. En plus, le titre français est à deux lettres de frères d’armes, ce que l’on perdrait en néerlandais. Comme le personnage Alfa appelle toujours son ami décédé Mademba « plus qu’un frère » sur son ami mort, le rédacteur et moi avons pensé que c’était une bonne alternative et qui couvre en fait assez bien le sens de « frère d’âme ». »

La littérature post-coloniale nous fait prendre conscience d’une partie de notre histoire qui est restée méconnue pour beaucoup de gens.

Pouvez-vous nous parler de l’importance de la traduction de la littérature post-coloniale ?

« Comme toute bonne littérature qui vous fait prendre conscience de quelque chose en tant que lecteur, la littérature post-coloniale nous fait prendre conscience d’une partie de notre histoire qui a longtemps été représentée de façon partiale ou qui est restée méconnue pour beaucoup de gens. Dans le cas de Frère d’âme, il s’agit de soldats sénégalais qui ont été recrutés pendant la Première Guerre mondiale pour servir de chair à canon par la France. En transformant ce fait en langage littéraire, le lecteur est frappé deux fois plus fort. »


À propos

Le programme Nouvelles voix de l’Institut français des Pays-Bas est le plan d’aide à la publication (PAP) franco-néerlandais qui soutient des projets de publication ou d’invitation d’éditeurs néerlandais souhaitant valoriser les auteurs francophones contemporains aux Pays-Bas.

Biographie

Martine Woudt (1957) est traductrice à temps plein depuis 2004, traduisant du français vers le néerlandais. Son travail comprend aujourd’hui une cinquantaine de titres, dont des traductions d’œuvres d’Albert Camus, Philippe Besson, David Diop ou Pénélope Bagieu. Trois des romans qu’elle a traduit ont figuré sur la longlist du prix néerlandais Europese Literatuurprijs.

Informations

  • Entretien : Martine Woudt
  • Programme : Nouvelles voix
  • À découvrir : Meer dan een broer (Frère d’âme) de David Diop et Het laatste kind (Le Dernier enfant) de Philippe Besson
  • Site : www.martinewoudt.nl
  • Avec le soutien de : Institut français des Pays-Bas
  • Photo : Martine Woudt © Privé